• J’ai souhaité consacrer ce premier article à mon professeur de magie Pierre Edernac. Je l’ai rencontré en 1981, alors que je venais sur Paris pendant mes vacances. C’est ma grand-mère qui me l’a présenté. Pierre habitait au 20 rue Lacretelle dans le 15ème. Homme grand, élégant, avec une élocution parfaite et un maniement de la langue française propre aux personnes bien élevées. Il m’invita à m’asseoir à la grande table du salon et commença à me faire quelques tours avec des pièces, des élastiques, des dés à coudre et des cartes. Le tour qui me laissa sans voix fut le suivant. Pierre prenait son jeu de cartes, donnait une pichenette sur la face du jeu et la carte se transformait à vu. Il le refaisait plusieurs fois devant mes yeux éberlués. Puis il posait le jeu et allait dans l’autre pièce pour chercher quelque chose. Et moi je restais le regard figé sur son jeu, hésitant à le prendre pour l’examiner. Je n’ai découvert le secret de ce tour qu’une dizaine d’années plus tard par hasard car je voulais préserver le plus longtemps possible l’émotion que m’avait procuré cet effet. 

    Lorsque mes parents vinrent s’installer à Paris trois ans plus tard, j’allais prendre des cours chez Edernac tous les 15 jours. Je crois que le premier effet qu’il m’enseigna fut les trois boulettes perpétuelles. Il prenait un morceau de pain et confectionnait 3 boulettes de mie. Il en mettait deux dans sa main, et la troisième dans sa poche. Pourtant, en rouvrant sa main, les trois boulettes étaient à nouveau réunies. Puis les boulettes finissaient par laisser place à une pièce et il enchaînait… A chaque visite, j’étais fier de lui montrer une nouvelle création. Tantôt avec des fleurs en papier, des cartes, des effets de feu.

    Au delà des tours, Pierre me transmit l’amour de la pratique, le respect du spectateur, une philosophie, et surtout la conscience que pour être magicien, il ne faut jamais être dépendant d’un accessoire mais pouvoir utiliser tout ce qui vous tombe sous la main. C’est le propre des prestidigitateurs qui, de nos jours, disparaissent peu à peu.

    La philosophie de Pierre Edernac consistait a venir sur scène avec quasiment rien, et repartir avec rien. Son numéro de corde en est un parfait exemple. En gala, le présentateur sortait de sa poche un morceau de corde de 20 centimètres, le tendait à Edernac. La musique débutait et Pierre entrait sur scène avec ce morceau de corde. Puis tous ces gestes étaient soulignés par la musique. 8 minutes de poésie, d’élégance et de communication non verbale. Un jour, dans un congrès, ce magicien de 80 ans fit tomber ses ciseaux au sol. Tous les magiciens présents dans la salle qui connaissaient son numéro, vécurent une seconde de malaise qui était perceptible. Cette seconde parût durer une éternité. Ce grand bonhomme allait-il devoir s’accroupir pour ramasser ses ciseaux et briser l’élégance de son personnage. Mais non. Pierre sorti de sa poche une seconde paire de ciseaux et continua son numéro comme si de rien n’était. La salle éclata d’un rire de soulagement. En réalité, Edernac avait tout en double sur lui pour anticiper toutes mauvaises surprises. C’est la marque des grands. L’anticipation.

    Pierre a toujours été fidèle. Que je sois ou non dans les médias, il m’a toujours conseillé avec beaucoup de bienveillance et je lui dois beaucoup. C’est tellement rare dans ce milieu que je tenais à le souligner. J'étais très heureux de pouvoir l'inviter dans l'émission Vivement Dimanche en 1999 pour le remercier publiquement au delà des articles de presse où je le citais souvent. J’aurais sans doute l’occasion de vous reparler de lui dans de futurs articles. En attendant, voici, avec son autorisation, son numéro lors de sa prestation à Stuttgart. Bon visionnage.

     

     

     

     


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